La relation de franchise repose sur une confiance réciproque, mais celle-ci peut être fragilisée par des zones grises juridiques comme opérationnelles. Parmi elles, le vice du consentement occupe une place singulière.
Fondement fréquemment invoqué dans les contentieux à l’initiative des franchisés, il met en lumière les fragilités de la phase précontractuelle : ce moment clé où le candidat doit recevoir une information complète, compréhensible et sincère pour s’engager en toute connaissance de cause.
Dans ce nouvel article, nous souhaitions partager une nouvelle perspective en considérant le vice du consentement non pas uniquement comme un risque judiciaire, mais comme un appel au bon sens, à la transparence et à la pédagogie et, peut-être, à la remise en cause de votre culture réseau. C’est un sujet crucial pour ceux qui souhaitent devenir franchiseur avec une base solide.
Retrouvez à cette fin les regards et l’analyse de deux experts du cabinet : Sylvain Bartolomeu, consultant en franchise et président de Franchise Management, et Laurent Breyne, associé spécialiste des questions juridiques des réseaux.
L’équipe Franchise Management.
Comprendre le vice du consentement : une notion invoquée a posteriori
Avant d’entrer dans les aspects pratiques ou juridiques, il est essentiel de rappeler ce que recouvre la notion de vice du consentement et pourquoi elle constitue un enjeu central dans la relation franchiseur-franchisé.
Un outil mobilisé surtout en cas de déception puis de conflit
Le vice du consentement est rarement invoqué lorsque tout va bien. « Un franchisé qui a été bien accompagné, qui a trouvé ses marques, et qui performe suffisamment pour gagner sa vie ne se posera même pas la question. Celle-ci a même disparu du radar. », rappelle Sylvain Bartolomeu.
C’est plutôt une arme que le franchisé dégainera a posteriori. Car il arrive que les résultats du franchisé ne soient pas ou plus au rendez-vous, que la désillusion le gagne et que, tout compte fait, il ne trouve plus son expérience si épanouissante que ça. C’est là que, conseillé par un avocat rompu à la manœuvre, il « ressort son contrat du tiroir » pour refaire le film dans l’espoir de trouver quelques failles. Et c’est là aussi que le vice du consentement devient un fondement juridique pour limiter la casse, en se dégageant d’un contrat devenu trop encombrant.
Trois angles d’attaque classiques des franchisés
Lorsqu’ils souhaitent rompre leur contrat, les franchisés disposent traditionnellement de trois leviers :
- Remettre en cause la matérialité du savoir-faire de l’enseigne ;
- Alléguer un manque d’assistance du franchiseur ;
- Invoquer un vice du consentement en phase précontractuelle.
Soit un arsenal juridique bien connu des praticiens du droit, qui permettra aux partenaires de l’enseigne de sortir à bon compte de la relation s’ils s’estiment mécontents. « Vouloir protéger votre réseau implique donc d’être un minimum proactif à ce sujet », insiste notre consultant. Au-delà de soigner la rédaction de votre contrat, cette prévention passe par un processus d’information solide et par un accompagnement constant du candidat.

Le rôle central du DIP et du processus d’information
Dans la pratique, certains comportements ou omissions récurrents alimentent le risque d’un consentement vicié : comprendre ces situations concrètes permet de mieux anticiper et éviter les litiges.
Le DIP : une contrainte ou une opportunité ?
Le Document d’Information Précontractuel (DIP) est l’outil pivot de cette phase. Pourtant, nombre de franchiseurs le perçoivent comme un carcan juridique. « Beaucoup subissent la production de ce document comme une obligation, une pure contrainte. Alors qu’au contraire, elle leur donne l’opportunité d’apporter de clarifier leur concept à de nombreux titres », assure notre dirigeant.
Une vision partagée par son co-associé : « Une fois que le franchiseur a compris que ce texte existe pour le rappeler au bon sens, à l’honnêteté et à la bonne foi, il comprend dans quel esprit se positionner lors de la phase précontractuelle. », complète Laurent Breyne. Loin de se borner à un simple exercice de conformité, le DIP pose aussi les bases d’une relation de confiance et d’une réassurance quant à la solidité du projet.
Un devoir d’information qui dépasse le cadre légal
Loin d’être une finalité, le DIP est plutôt la carte d’un territoire plus vaste : la phase précontractuelle. En effet, celle-ci inclut l’ensemble des échanges informels entre le candidat et son enseigne (mails, entretiens, visites, présentations…), chacun d’eux pouvant être ensuite mobilisé en cas de litige.
D’où la nécessité de maîtriser ce flux d’information. Car les questions se posent concrètement : qui remet le DIP ? Qui le met à jour ? Les équipes sont-elles formées quant aux risques liés aux mails, aux partages d’éléments chiffrés ? Un process bien maîtrisé protègera l’ensemble des acteurs du réseau.
Vos équipes opérationnelles doivent donc être acculturées aux enjeux du vice du consentement. « Les collaborateurs doivent savoir ce qu’ils peuvent et doivent ou non délivrer, et le franchiseur doit savoir jusqu’où il peut aller sans tomber dans le risque de tromperie potentielle », insiste l’expert. Il ne suffit pas de briefer votre avocat : c’est toute votre organisation qui doit être sensibilisée à ce risque.
Un enjeu de transparence et de pédagogie
Pour Laurent Breyne, l’esprit de la loi Doubin ne réside pas tant dans ses dispositions que dans la transparence à laquelle elle invite. Au-delà de l’information pure, le processus précontractuel revêt une dimension pédagogique souvent sous-estimée.
« C’est même un peu de la formation, en soi ! », glisse Sylvain Bartolomeu. Car face à des candidats souvent en reconversion, « novices en entrepreneuriat, en franchise, vis-à-vis du concept et même de la personne du franchiseur », le processus d’information devient un véritable parcours d’apprentissage dans un temps réduit.
Ensuite, si votre réseau n’a que deux ans d’ancienneté, vous devez être transparent sur la raison. Plutôt que masquer vos fragilités, présentez-les plutôt de façon honnête et pédagogique, à des candidats qui – s’ils sont venus à vous en connaissance de cause, auront une appétence au risque supérieure à la moyenne. Enfin, la confiance se construit par la cohérence du discours entre les différents supports et moments d’échange vécus par le candidat.
Les zones de risque et les mauvaises pratiques
Face aux risques encourus en phase précontractuelle, les consultants en franchise jouent un rôle clé en accompagnant les porteurs de projet vers plus de discernement et en guidant les franchiseurs vers plus de transparence.
L’instrumentalisation tactique par les franchisés
Parfois, le motif invoqué à un contentieux masque sa vraie raison. « Certains franchisés sont tentés d’instrumentaliser le vice du consentement pour masquer des difficultés, comme des difficultés d‘exploitation et l’insuffisance de résultats », avertit Sylvain Bartolomeu. Un fondement utilisé, comme vu précédemment, pour demander une résiliation du contrat et précipiter leur sortie du réseau.
Mais cette tendance incite les franchiseurs à une prudence excessive, parfois contre-productive. Craignant l’attaque, certains préfèreront restreindre la communication avec leurs candidats, voire retarder la transmission d’informations essentielles. Une judiciarisation excessive pouvant fragiliser la relation.
La tentation du silence côté franchiseur
Notre consultant regrette que cette peur du contentieux pousse les dirigeants de réseaux à adopter une approche contre-productive. « En n’osant pas transmettre des informations qu’ils jugeraient litigieuse, ils s’empêchent aussi de mettre en avant certains atouts concurrentiels – créant une spirale négative : moins d’information partagée, plus de zones d’ombre, et finalement plus de risques de contentieux fondés sur le vice du consentement. », ajoute-t-il.
Un choix dangereux pour son collègue, qui renchérit en rappelant une jurisprudence récente : « l’année dernière, un franchiseur a été condamné pour n’avoir pas informé son candidat de la procédure collective dont il faisait l’objet, et qui est survenue postérieurement à la remise du DIP. Bien que la loi n’impose pas explicitement de transmettre une telle information en pareille situation, le juge a considéré que le franchiseur ne pouvait ignorer cette donnée au moment de la signature. », relate Laurent Breyne.
Une décision rappelant aussi que le bon sens commande, au-delà de la lettre des textes. Pour le consultant juridique, l’objectif du cadre légal n’est pas de paralyser les échanges mais bien de « rappeler le bon sens, l’honnêteté et la bonne foi. Une fois cette philosophie intégrée, le texte ne devient plus une contrainte, mais un guide pour construire une relation de confiance durable ».
L’asymétrie d’information et la due diligence candidat
N’oublions pas que la relation franchiseur-franchisé est de nature asymétrique. « Bien souvent un salarié en reconversion, le candidat méconnaît logiquement (I) l’entrepreneuriat, (II) le système de la franchise, (III) son futur secteur d’activité ainsi que (IV) le concept et la personne du franchiseur », rappelle le dirigeant du cabinet.
Mais la transparence se doit d’être réciproque. Or certains candidats peuvent très bien enjoliver leur profil, masquer leurs fragilités financières ou leur manque de compétences managériales. « Plusieurs franchiseurs m’ont confié avoir été surpris des différences chez des candidats, entre le début des échanges et la formation initiale puis le lancement de l’activité », souligne Sylvain. L’idéal serait de systématiser les due diligences sur les candidats.
Prévenir le vice du consentement : entre discipline et culture
Au fond, prévenir le vice du consentement invite à se détacher des obligations juridiques, pour adopter une discipline organisationnelle, et instaurer une nouvelle culture à diffuser dans le réseau.
Une vigilance organisée : process et réciprocité
La prévention ne peut pas seulement reposer sur de bonnes intentions. Elle exige des franchiseurs une discipline organisationnelle :
- Structurer le processus de recrutement.
- Tracer chaque étape et documenter chaque échange.
- Éviter les biais liés à l’émotion en créant une trace objective du cheminement.
Une logique d’amélioration continue
Les franchiseurs expérimentés savent que la prévention des risques n’est jamais acquise. « Les entretiens, questionnaires, audits et autres retours d’expérience doivent être utilisés comme autant d’outils d’ajustement », souligne Laurent Breyne. En ce sens, une nouvelle candidature sérieuse peut générer des enseignements et ainsi renforcer la qualité de votre processus d’information et la clarté de votre DIP.
Vers une culture de transparence et de confiance
Et si le vice du consentement n’était pas tant une question juridique qu’un révélateur culturel pour votre réseau ? Un réseau qui anticipe cette question démontrerait qu’il valorise la confiance, la transparence et le respect des équilibres. C’est un avantage compétitif durable pour ceux qui souhaitent devenir franchiseur.

Conclusion
Le vice du consentement cristallise les tensions de la phase précontractuelle en franchise. Mais comme le soulignent nos experts, il ne doit pas être vécu comme une menace paralysante. Il rappelle au contraire l’importance du bon sens, de la pédagogie et de la transparence.
Les réseaux qui réussissent sont ceux qui assument leurs fragilités, expliquent leurs choix, forment leurs équipes et instaurent une culture d’information constructive. Loin d’être un obstacle générateur de contentieux, il devient alors un révélateur : il indique si la confiance, ciment de toute relation de franchise, a été solidement posée dès l’origine.