La phase précontractuelle est une étape décisive dans la relation entre un franchiseur et un candidat à la franchise. En effet, elle pose les bases du partenariat en expliquant au probable cocontractant la portée des engagements qu’il s’apprête à prendre.
En France, cette période réglementée par la loi Doubin impose à l’enseigne de remettre un Document d’Information Précontractuelle (DIP). Celui-ci doit fournir les éléments essentiels à une décision éclairée : historique du réseau, état du marché, obligations des parties, perspectives financières, etc.
Mais cette obligation de transparence est à double tranchant pour le franchiseur. D’un côté, il doit fournir des données claires et précises pour attirer et rassurer ses candidats. De l’autre, toute imprécision, omission ou engagement trop appuyé pourrait être source de contentieux. En voulant rassurer un futur franchisé ou se différencier de la concurrence, le franchiseur risque de s’exposer à des conséquences juridiques ou commerciales fâcheuses.
Dans cet article, nous analyserons les enjeux de cette période stratégique, ses risques pour le franchiseur et les stratégies permettant de concilier transparence et sécurité juridique.
L’équipe Franchise Management.
La phase précontractuelle : un cadre légal à respecter
La phase précontractuelle repose avant tout sur les prescriptions de la loi Doubin, qui n’est pas exempte de certaines limites.
L’obligation légale d’information
Instaurée par la loi Doubin du 31 décembre 1989 et intégrée au Code de commerce, l’obligation de remise du DIP doit équilibrer la relation franchiseur-franchisé. Ce document, fourni au moins 20 jours avant la signature du contrat de franchise, permet au candidat de s’engager en connaissance de cause avec l’enseigne.
Matériellement, le DIP doit contenir des informations clés comme :
- La présentation du réseau et de son historique ;
- L’état général et local du marché envisagé ;
- Les comptes annuels du franchiseur pour les trois derniers exercices ;
- Les principaux engagements et clauses du contrat (durée, obligations, redevances, assistance, etc.).
Au-delà de la simple obligation légale, le DIP est un outil décisif pour convaincre le candidat, tout en préservant les intérêts du franchiseur. Factuel et soigné, il doit valoriser raisonnablement les points forts du réseau sans non plus créer des attentes démesurées chez le futur franchisé.
Les limites du cadre légal
Malgré l’importance de la loi, certaines de ses limites peuvent poser problème au franchiseur. Car si elle impose un devoir d’information, elle ne garantit ni la compréhension des informations fournies par le candidat ni son aptitude à les analyser correctement.
De nombreux franchisés se lancent donc sans avoir pleinement mesuré les risques et les contraintes du modèle de la franchise – surtout s’ils n’ont aucune expérience entrepreneuriale et sont des salariés en reconversion professionnelle.
Par ailleurs, la loi n’impose pas de contrôler les capacités financières du franchisé. Des candidats sous-capitalisés risquent ainsi de se retrouver rapidement en difficulté. Enfin, une jurisprudence fluctuante peut créer de l’incertitude pour le franchiseur, certaines décisions de justice annulant des contrats de franchise sur la base d’un DIP jugé incomplet ou imprécis.
Le DIP vu comme une zone d’improvisation ?
Sylvain Bartolomeu rappelle que le DIP n’est ni l’alpha ni l’oméga de l’information précontractuelle. « Il faut voir cette dernière comme un territoire, dont le DIP n’est qu’une brique, la carte. Derrière, il y a de nombreux échanges, contenus, dits et non-dits à côté dont il faut aussi tenir compte… », précise-t-il.
Et concrètement, il n’est pas aisé pour les réseaux d’encadrer la délivrance de ces informations au candidat, dans une optique de sincérité. « Si les développeurs disposent d’une certaine liberté, j’y vois aussi matière à improvisation ! Or si vous faites appel à des développeurs externes, vous devez processer tout cela davantage pour que l’information finalement délivrée soit la plus qualitative possible, exhaustive et sincère », poursuit l’expert.
L’enjeu est de maîtriser au maximum les informations communiquées au candidat de la prise de contact à la remise du DIP, pour éviter que des informations sensibles ou biaisant le consentement du candidat ne le soient. « Gardez en tête que le franchiseur est avant tout tenu de délivrer des informations sincères pour éclairer le consentement de ses candidats », conclut-il.
Le dilemme de la transparence pour le franchiseur
Pour la tête de réseau, être transparent demande de dépasser certaines contradictions apparentes.
Trouver l’équilibre entre en dire trop ou trop peu
Le franchiseur est pris dans un dilemme constant : en dire trop – ce qui pourrait constituer une garantie implicite de succès mais l’exposerait juridiquement, ou en dire trop peu au risque de susciter la méfiance des candidats et investisseurs potentiels.
Prenons un exemple typique, la communication sur les performances financières de vos unités. S’il est tentant de présenter les chiffres des meilleurs franchisés pour souligner le potentiel du concept, il vaut mieux présenter une moyenne réaliste en accompagnant ces chiffres d’une solide explication de texte. Entre « dire trop » et « dire trop peu », l’équilibre se situe finalement dans le « dire vrai ».
Le parti pris de Franchise Management : en dire … plutôt plus
D’expérience, plus le DIP est liminaire, aride voire austère, et plus le sens des informations environnantes – qui viennent le compléter utilement – risquent d’être incontrôlées.
« Je plaide pour un DIP plus riche, plus dense et comportant davantage de guidelines. Ce corpus doit couvrir l’ensemble de la phase précontractuelle et être la synthèse (légale) d’un ensemble plus large. Rien n’empêche ensuite une phase de questionnement sur ce contenu, avec le candidat, au contraire ».
Alors pourquoi, dans la pratique, sommes-nous encore loin de cette vision ?
D’une part parce que le rôle d’un avocat est de construire un DIP qui remplit les obligations légales. Toutefois le rôle du franchiseur ira souvent au-delà, car il devra transmettre les informations permettant un engagement en connaissance de cause. Par ailleurs, les aléas du développement, les défauts de mise à jour du document, la volonté des équipes de développement de séduire les candidats dénatureront progressivement la qualité de l’information précontractuelle, soit en déformant le DIP en lui-même, soit y superposant des documents qui contrediront le DIP.
Egalement, il faut penser « qu’aujourd’hui de nombreux échanges se tiennent en visio, que les candidats peuvent prendre des notes, enregistrer et retranscrire l’audio », rappelle le consultant. Voilà pourquoi nous prônons de produire un DIP plus structuré et plus étoffé, qui apporte la preuve que vous avez adressé tout le champ de l’information précontractuelle, qui montre clairement votre volonté de transparence et qui cadre tout risque d’improvisation.
Des informations différenciantes mais potentiellement compromettantes
Si la volonté de vous différencier de la concurrence est un réflexe « épidermique », certains engagements peuvent néanmoins se retourner contre vous :
- Une promesse d’exclusivité territoriale qui s’avèrerait floue ou difficile à tenir ;
- Une présentation exagérée du soutien opérationnel offert aux franchisés ;
- Des estimations de rentabilité trop optimistes ;
- Des argumentaires marketing qui enjolivent votre concept au risque de dénaturer la réalité.
Autant d’éléments pouvant entraîner des désillusions et mener à des litiges, s’ils ne se vérifient pas dans les faits. Au fond, c’est « la confiance dans votre concept qui vous amène au juste niveau d’affirmation, sans verser dans une surenchère risquée. Tout comme les conseils d’un cabinet reconnu, habitué à aider ses clients à valoriser leurs atouts », rappelle le membre du Collège des Experts de la FFF.
Les risques juridiques liés à la phase précontractuelle
La remise de l’information précontractuelle ayant une base légale, tout manquement en la matière devient sanctionnable.
Le risque de nullité pesant sur le contrat de franchise
Rappelons qu’un DIP incomplet, erroné ou trompeur peut entraîner la nullité du contrat de franchise pour vice du consentement. Régulièrement saisies de litiges opposant des franchisés à leur franchiseur, les juridictions ont pu donner raison aux premiers lorsqu’ils s’estimaient avoir été trompés par des informations inexactes.
Sachez qu’en cas de nullité du contrat, vous pourrez être contraint de rembourser une bonne partie des sommes versées par le franchisé, soit un dommage financier conséquent pour votre réseau. Sans oublier qu’une telle décision entraînera des conséquences réputationnelles, faciles à exploiter par vos concurrents…

Le devoir de se renseigner pour le candidat
De notre expérience, le franchiseur doit rappeler ses candidats à leur devoir d’information. « Parfois l’aventure se passe mal parce que les candidats n’ont pas fait un travail d’analyse suffisamment poussé en phase précontractuelle. Les franchiseurs doivent commencer par mettre en responsabilité des porteurs de projets qui, dans leur grande majorité, ne sont pas encore entrepreneurs », relève notre expert.
Les futurs franchisés doivent donc non seulement se questionner, mais aussi comparer les concepts et leurs modèles, et solliciter les conseils nécessaires (avocat, expert-comptable), ainsi que réaliser une étude de marché, et faire leur propre audit du projet pour prendre leur décision en toute connaissance de cause.
Et les enseignes devraient in fine interroger et vérifier que les candidats ont réellement effectué ce travail préalable, car un candidat qui ne le ferait pas prendrait son projet trop à la légère. Or l’entrepreneuriat ne tolère pas la légèreté !
L’écoute du candidat, ce ressort insuffisamment investi
Et si savoir suffisamment écouter (et entendre) vos candidats était un facteur décisif ?
Vous avez une mine d’or à exploiter
Sylvain Bartolomeu est catégorique : s’il y a une routine à avoir, c’est bien d’écouter les candidats. Car peu de franchiseurs s’intéressent vraiment à eux et à leurs feedbacks en fin de process, qu’ils finissent par signer ou non.
Pourtant, savoir s’ils ont eu le sentiment d’être pleinement informés, s’ils sont satisfaits du lien créé à cette occasion est un excellent levier d’amélioration continue. Que ce soit via l’analyse de questionnaires de satisfaction, dans des focus groups ou en prenant simplement le temps de rappeler les candidats qui ne vous ont pas choisi.
« Il est courant qu’un réseau traite entre 300 et 500 candidatures par an. Et pour chacun, on peut avoir de l’information transmise, des Journées Découverte organisées, des entretiens, des présentations … Tout cela vaut de l’or et vous devez challenger régulièrement la qualité de votre accompagnement candidats », plaide-t-il.
Sachez pratiquer l’écoute active
Autre constat de notre expert lors de cette phase précontractuelle : la surpondération technique du propos. Alors que le sujet c’est l’humain, les échanges entre le développeur et les candidats relèvent trop souvent uniquement du concept et des process, alors qu’un des facteurs clés de réussite en franchise est la capacité à vivre en réseau.
« A la fin, le candidat doit avoir compris ce que cela suppose d’entreprendre auprès de votre marque, tout ce que cela impactera pour lui au quotidien », analyse Sylvain. Un véritable process de recrutement doit être équilibré entre séduction (attirer des candidatures), sélection et démonstration. Les journées découverte ne sont pas que des « journées portes ouvertes » pour vendre. Trop peu de franchiseurs s’intéressent en profondeur à la dimension humaine et sélective de l’exercice.
Alors comment sécuriser votre phase précontractuelle ?
Adoptez une transparence mesurée
Trouvez le juste milieu entre transparence et prudence :
- Présentez des chiffres réalistes et documentés ;
- Explicitez les conditions de réussite sans risquer la surpromesse ;
- Soyez honnête sur les difficultés et les risques inhérents ;
- Soyez intègre. Votre réseau est ce qu’il est, les candidats n’attendent pas une histoire parfaite.
Entourez-vous de conseils juridiques spécialisés
Pour anticiper les litiges et sécuriser votre DIP :
- Faites appel à des avocats spécialisés en droit de la franchise ;
- Vérifiez que vos documents juridiques sont en accord avec vos processus réels (manuels de savoir-faire) ;
- Assurez-vous qu’ils sont à jour de la dernière jurisprudence.
Formez votre team développement à la communication précontractuelle
- Formez vos chargés de recrutement pour éviter toute promesse mal interprétée ;
- Établissez une charte de communication pour normaliser votre discours ;
- Informez vos développeurs en temps réel des évolutions du concept.
L’information précontractuelle est une matière vivante
- Mettez à jour votre DIP tous les ans ;
- Ajustez votre process de recrutement tous les deux ans.
« Je suis toujours étonné de voir que des DIP et des process mis au point il y a 4 ou 5 ans n’ont pas été actualisés ! » estime notre expert. Trop souvent, les DIP sont mis à jour de manière ciblée (uniquement l’état général du marché par exemple), au risque de perdre en sincérité et en pertinence globale.
Conclusion
La phase précontractuelle est un moment stratégique, complexe et potentiellement risqué pour le franchiseur comme pour le candidat. Dans un souci de transparence et de sécurisation de la relation, vous devez adopter une approche nuancée et mesurée.
Une communication transparente, un accompagnement constant des candidats et une clarté du DIP sont autant de clés pour transformer cet exercice légal en une opportunité de construire une relation de confiance durable et de pérenniser votre développement.