Le marché de la distribution fait face à des défis liés au changement de plus en plus rapide des modes de consommation.
Le défi digital, l’IA, l’attachement des consommateurs à la marque lentement remplacé par l’intérêt instantané à la nouveauté …. Autant de nouveaux paramètres qui imposent aux réseaux de disposer d’une organisation agile.
Cette agilité imposée par le marché ou impulsée par l’esprit entrepreneurial des dirigeants, doit cependant composer avec la rigueur d’un cadre juridique destiné à offrir aux opérateurs une protection contre les abus.
Le propriétaire d’un concept qui souhaite se développer en faisant appel à des entrepreneurs qui seront liés par un contrat, doit choisir un véhicule juridique proposant un équilibre entre les stratégies commerciales de la tête de réseau et la sécurité juridique que l‘adhérent au réseau est en droit d’attendre.
L’offre juridique actuelle permet-elle de répondre à toutes les situations opérationnelles et notamment celle où le concept bien qu’abouti n’est pas encore pleinement éprouvé ?
L’offre juridique et ses limites
Lorsque nous parlons d’une tête de réseau qui dispose d’un concept abouti, la réponse de la franchise (ou de la commission affiliation) est celle qui offre les contours les plus éclairés par la jurisprudence.
Le véhicule juridique de la franchise est sans aucun doute celui allie au mieux :
- La volonté du franchiseur de maitriser son concept afin de préserver l’homogénéité du réseau et de répondre aux attentes des clients de son enseigne.
- La recherche d’indépendance du franchisé¹ tout en bénéficiant d’une solution éprouvée et d’une vie de réseau : ne pas être seul !
Le véhicule juridique de la franchise comprend :
- La mise à disposition auprès du franchisé, d’un signe distinctif
- La mise à disposition du franchisé d’un savoir-faire secret, identifié, substantiel et évolutif
- Une assistance « commerciale ou technique pendant toute la durée de l’accord, telle que des services en matière d’approvisionnement, une formation, des conseils immobiliers et une planification financière »²
Ces trois critères majeurs sont en général assortis de services complémentaires optionnels : des prix négociés pour le compte du réseau, via un mandat total ou partiel ou une intervention en qualité de courtier si la centrale met en avant son propre besoin de financement, des services informatiques, des services de communication, des services immobiliers, un territoire exclusif … etc
Mais l’idée commerciale principale qui sous-tend ce modèle, c’est que le franchiseur a testé le modèle avec succès pendant un temps suffisamment long, pour proposer aux candidats à la franchise un modèle rentable ou a minima, qui a fait ses preuves de rentabilité.
En effet, la jurisprudence a énoncé les exigences que doivent respecter les franchiseurs pour proposer leur concept à la franchise :
- Un modèle duplicable dans la zone du franchisé³ : Où les juges retiennent que le franchiseur n’avait pas développé un savoir – faire spécifique reproductible dans d’autres régions françaises ;
- Un modèle rentable⁴ : Il incombe au franchisé de prouver que le modèle n’est pas rentable.
La réalité du terrain impose parfois de mettre sur le marché son concept, alors que celui-ci n’est pas abouti.
Une solution utilisée par les praticiens et proposée aux têtes de réseau est celle de la licence de marque.
Ce modèle est en général proposé aux entreprises qui disposent d’un modèle économique dont le développement repose :
- Soit sur la notoriété de la marque, ce qui a le plus de sens
- Soit sur un modèle dégradé de la franchise et dont serait absent, soit la transmission du savoir-faire, soit l’assistance commerciale
De la non-transmission du savoir-faire résulte notamment pour la tête de réseau davantage de difficultés à assurer l’homogénéité de son réseau.
L’arrêt de la cour d’appel du 9 juillet 2024 nous rappelle les risques liés à ce choix en requalifiant en franchise les opérateurs qui choisissent ce modèle à mauvais escient et s’exposent au prononcé de la nullité du contrat de franchise et à l’imposition d’une obligation d’assistance une fois la licence de marque requalifiée en franchise.
Cette conséquence juridique n’obère pas en tout état de cause la complexité opérationnelle de choisir la licence de marque « en attendant d’être prêt » et de basculer en franchise une fois le « produit » prêt pour la franchise. Cette stratégie montre bien que la ligne de requalification est un enjeu dangereux et que la bascule en franchise sera d‘un point de vue managérial complexe à mettre en œuvre une fois les habitudes et les prix …. décidés et éprouvés.
Pour autant, le marché n’attend pas et les acteurs de ce marché, tête de réseaux et candidats à l’adhésion, restent des entrepreneurs prêts à prendre et assumer des risques. Quelles sont alors les solutions ?
Du contrat de pilote à la licence de concept ?
Le marché pour des raisons de vitesse opérationnelle ne peut, parfois, se permettre d’attendre plusieurs années pour lancer son développement. Et lorsque celui-ci implique des investissements initiaux portés par des partenaires contractuels, quelle solution juridique propose les praticiens qui serait de nature à « préparer la franchise » pour en faciliter l’implantation, sans pour autant répondre immédiatement à toutes ses exigences issues de la jurisprudence ?
Rappelons que le site pilote n’est pas obligatoire⁵, dans la mesure où le franchisé est informé de l’inexistence de site pilote⁶. Toutefois, cela ne dispense pas le franchiseur de devoir expérimenter son savoir – faire.
En pratique, les franchiseurs ouvrent régulièrement plusieurs succursales avant de se lancer en franchise, ce qui permet d’expérimenter le savoir – faire.
C’est bien l’information du franchisé est au cœur du contentieux.
C’est la raison pour laquelle la délivrance d’un DIP est primordiale et ce bien qu’en réalité, la preuve d’un dol en l’absence de délivrance d’un DIP soit souvent complexe.
En effet, les juges du fond ont récemment rejeté le grief de dol tiré du défaut d’information (non – délivrance de l’état local) en présence d’un franchisé détenant des connaissances personnelles importantes de la région⁷, et d’un autre s’étant présenté comme expérimenté dans son dossier de candidature remis au franchiseur⁸.
Cela étant rappelé, la tête de réseau peut mettre en place son réseau en optant pour diverses solutions qui devront répondre aux exigences légales et jurisprudentielles ci-dessus rappelées.
Nous pourrions suggérer trois options principales :
- Une franchise dégradée où le DIP et le contrat lui-même expliciteraient là où le modèle souffre de carence en cours de résolution.
Avantage : préparer sans douleur la bascule en franchise, les outils étant prêts
Inconvénients : des pratiques du marché douteuse se servant de cette frontière floue pour vendre l’invendable, et le dol restera l’enjeu central
Sans doute le fait de jouer sur la terminologie emporte une difficulté pratique inconfortable pour les têtes de réseaux et les praticiens en charge de la rédaction.
Ce contrat s’apparenterait à une licence de marque renforcée, puisqu’il serait risqué de qualifier de franchise un contrat ne transmettant pas de savoir-faire suffisamment éprouvé. Toutefois, la qualification de licence de marque ne dispense pas de la transmission du dispositif d’information précontractuelle, dès lors qu’une exclusivité est attendue du licencié.
Nous voyons bien que cette option, louable dans l’esprit, met dans l’inconfort les praticiens qui jouent avec la ligne rouge.
- Un contrat de pilote : mais attention à ses contours
La pratique propose pour les concepts non aboutis le contrat de pilote. Ce contrat, par sa terminologie propre et un DIP pédagogique, peut permettre de proposer au développement un concept dont le modèle n’a pas été expérimenté.
Ce modèle a pour avantage de répondre aux exigences de la franchise tout en écartant le dol par les explications pédagogiques du DIP et le contenu même du contrat.
Deux griefs pourraient résulter de ce type de contrat.
D’une part, certains franchisés seront tentés de contester la qualification de franchise en raison notamment de l’absence de savoir-faire finalisé ou matérialisé. D’autre part, si le franchisé n’a pas été suffisamment informé, préalablement à la conclusion du contrat de franchise, qu’il était le premier à tester et éprouver le savoir-faire, la question du dol et de la nullité du contrat entre en jeu.
En jurisprudence, il a été admis que lorsque le franchisé « savait qu’il n’existait aucune unité pilote ayant déjà expérimenté ce modèle et qu’il participait, aux côtés de Monsieur H…, au lancement du concept V… développé à partir d’avril 2001 seulement, état de fait supposant une prise de risque et une période de « mise en route » du succès de laquelle dépendait l’ouverture d’autres structures permettant d’assurer le développement de l’enseigne »⁹ . Ainsi, lorsque le franchisé a contracté en connaissance de cause, il ne pourra invoquer un défaut d’information.
Du point de vue opérationnel, ce véhicule juridique présente l’inconvénient de recouvrir des situations susceptibles d’être très différentes et finalement, peu comparables :
- Un modèle abouti non expérimenté ou insuffisamment expérimenté
- Un modèle en cours d’expérimentation mais dont les composantes sont en cours de tests, de construction ou de matérialisation.
Pour opérer une distinction, nous pourrions imaginer que le contrat de pilote convient dans sa terminologie même, à une situation où le concept est en cours de finalisation.
Dans ce cas, la négociation porterait avec les primo adhérents sur le besoin de finaliser les composantes mêmes du concept, tout en l’expérimentant par une exploitation concrète.
Une autre situation serait-celle d’un concept dont les composantes sont finalisées, mais dont la durée d’exploitation pour en mesurer la rentabilité, est inexistante ou insuffisante.
- La licence de concept : vers une option intéressante et avant-gardiste ?
Une solution juridique hybride et innovante
Le contrat de licence de concept pourrait représenter une solution à mi-chemin entre la franchise et d’autres modèles contractuels. Il se distinguerait par les éléments suivants :
- Concept abouti : le savoir-faire, l’assistance et les signes distinctifs sont en place.
- Absence d’exploitation préalable suffisante : contrairement à la franchise, le concept n’a pas été pleinement testé ou exploitable dans des conditions réelles de marché. Cela implique que l’adhérent accepte consciemment le risque d’être un pionnier.
- Time-to-market rapide : idéal pour des concepts novateurs nécessitant une mise sur le marché immédiate, notamment dans les secteurs technologiques ou pour des concepts étrangers encore non testés localement.
Sécurisation juridique
Pour éviter les risques de requalification et de contentieux, plusieurs précautions peuvent être prises :
- Transparence précontractuelle : la communication des informations essentielles, par le biais d’un DIP, reste indispensable, notamment sur l’absence d’expérimentation complète du concept. Une présentation physique par le franchiseur pourrait être très préconisé en présence du conseil du franchiseur et/ou du franchisé.
- Clauses adaptées : le contrat devra préciser les droits et obligations des parties, en insistant sur le caractère novateur et non éprouvé du modèle.
- Pédagogie contractuelle : intégrer des clauses explicatives dans le contrat pour éviter toute ambiguïté sur la nature des engagements réciproques.
— Tableau récapitulatif des modèles —
Situation | Véhicule juridique | Points de vigilance |
Concept abouti et pleinement éprouvé | Franchise | Respect des critères de rentabilité et de duplicabilité |
Marque connue sans savoir-faire substantiel | Licence de marque | Risque d’homogénéité et requalification |
Concept non finalisé | Contrat de pilote | Information précontractuelle à renforcer |
Concept abouti mais non testé | Licence de concept | Clauses adaptées et transparence |
Conclusion
Le contrat de licence de concept offre une alternative intéressante pour les têtes de réseau souhaitant un déploiement rapide de leur modèle sans attendre une exploitation complète préalable. Bien rédigé, il peut concilier la vitesse d’implantation et la sécurité juridique, tout en préparant le terrain pour une éventuelle bascule en franchise.
¹ Principe d’indépendance issu de divers principes : liberté du commerce et de l’industrie, liberté d’entreprise,
² CA Grenoble, ch. com., 3 mars 2022, n° 19/03906 citation des Lignes Directrices du Règlement n° 330-2010 point 43
³ Cass., 27 juin 2024, n°24-10.011 et n°24-10.011, et CA Chambéry, 3 oct. 2023, n° 21/00142 et n° 21/00146
⁴ Cass., 27 juin 2024, n°24-10.011 et n°24-10.011, et CA Chambéry, 3 oct. 2023, n° 21/00142 et n° 21/00146
⁵ Cass. com., 8 juin 2017, n° 15-29.093 ; CA Paris, 9 janv. 2019, n° 16/21425
⁶ Cass. com., 30 janv. 1996, n° 94-13.792 ; CA Chambéry, 31 mars 2015, n° 13/02706 (et sur l’absence de condamnation du franchiseur en raison de la connaissance du franchisé : CA Aix-en-Provence, 22 juin 2007, n° 05/05513 ; CA Rouen, 14 mai 1992, n° 926/91 : JurisData n° 1992-048824)
⁷ CA Montpellier, 6 févr. 2024, n°22/02608 : le franchisé et ses Conseils (expert-comptable et avocat) détenaient des connaissances personnelles importantes dans la région.
⁸ CA Paris, 26 avr. 2024, n° 21/13205
⁹ CA Aix-en-Provence, 22 juin 2007, RG n°05/05513
Coécrit avec François Xavier Awatar
François-Xavier Awatar a rejoint CMS Francis Lefebvre en 2020 en qualité d’associé. Il intervient en droit commercial et notamment de la distribution & franchise tant en conseil qu’en contentieux devant les juridictions étatiques et arbitrales. Également, il a une connaissance particulières des procédures collectives qu’il peut mettre en œuvre pour assister les réseaux de distribution. François-Xavier est enfin membre du Collège des experts de la fédération française de la franchise.